Sénégal : l’émigration clandestine marque cruellement l’année 2023

Article : Sénégal : l’émigration clandestine marque cruellement l’année 2023
Crédit: Wikimédia
9 novembre 2023

Sénégal : l’émigration clandestine marque cruellement l’année 2023

La tragédie de l’émigration clandestine et son décompte quasi-quotidien de vies perdues persistent au Sénégal. Les chiffres sont saisissants : depuis le début de l’année, plus de 32 000 personnes ont atteint les îles Canaries, dont une majorité originaire du Sénégal. Chaque semaine, le bilan s’alourdit de dizaines de décès.

Œuvre de l’artiste sénégalais Yakhya Ba sur l’immigration clandestine à la biennale de Dakar de 2022. Crédit : Bigué Ndiaye Diouf

« On part parce qu’on a plus d’espoir ».

Agé de 26 ans, Issa a perdu il y a peu son grand-frère en mer. Il avait tenté de rejoindre les Îles Canaries. Les mains dans les poches, le regard baissé, il témoigne. « Il voulait juste trouver du travail. Il était très brave. On a toujours fait de notre mieux pour joindre les deux bouts. Mais c’est trop dur. Il a décidé de partir car il voulait changer de vie. Il savait qu’il pouvait y rester mais était déterminé ».

L’immigration clandestine, ou immigration irrégulière est l’entrée illégale sur un territoire national d’étrangers n’ayant pas réalisé les formalités attendues. Cette immigration est considérée comme illégitime. Elle se distingue de l’immigration régulière par l’existence de législation, de traités, de jurisprudences ou d’autres règlements parfois sévères qui ont été mis en place par des États-nations et qui sont contournés. Les traversées sont effectuées à bord d’embarcation de fortune, affrétés par des individus qui se font de l’argent avec cela. Les causes peuvent être économiques, sociales, climatiques.

Les raisons qui poussent à la migration

 Les migrations économiques sont dues à la pauvreté, au chômage, au manque de perspectives. De plus il y a l’augmentation du coût de la vie et le fait que les jeunes ne se retrouvent plus dans les politiques de l’Etat. Pour eux, la seule solution est de prendre le large afin d’améliorer leur situation. Interrogé par rapport à cela, un étudiant âgé de 24 ans souhaitant garder l’anonymat affirme:  » J’ai eu un master en communication cette année. Mais j’ai du mal à trouver du travail. Même obtenir un simple stage dans ce pays relève du parcours du combattant. Et quand vous en obtenez un, la plupart du temps vous n’êtes pas payé et vous êtes surexploité. Comment voulez vous dans ces conditions que nous gardions espoir. C’est comme si tout était fait pour décourager la jeunesse, qui est pourtant l’avenir de ce pays. Les politiques de ce pays ne se préoccupent guère de notre sort et aucune opportunité ne nous est donnée. Je me retrouve à être marchand ambulant. Toutes les années que j’ai passé à étudier n’auront servi à rien ».

Selon une enquête nationale de l’agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD), le taux de chômage élargi en 2022 au Sénégal est de 21,9 %.

Même son de cloche chez Racky, une vendeuse de poisson âgée de 34 ans. Selon elle, ce travail est son seul moyen de subsistance. Avec ce qu’elle gagne, elle paie le loyer, l’éducation de ses enfants. De plus l’inflation a empiré les choses. « Nous nous débrouillons avec les maigres moyens que nous avons. Nous n’attendons rien des autorités, nous nous sentons abandonnés par eux. Vous savez, beaucoup de jeunes veulent juste vivre dignement. Mais cela semble être impossible dans ce pays. Il y a désormais beaucoup d’inégalités sociales au Sénégal. De plus en plus de femmes prennent maintenant la mer alors que c’était moins fréquent qu’avant. Il y a aussi le poids de la pression sociale qui pousse beaucoup de jeunes à vouloir partir. « 

Les conflits (guerres, situations instables) et les régimes répressifs sont aussi des facteurs qui poussent à l’immigration. Dans ce cas, c’est une migration forcée. Les effets du changement climatique sur le secteur de la pêche sont très importants. La mer n’est plus poissonneuse, du aussi à la surpêche. Ce qui pousse beaucoup de pêcheurs à délaisser leurs activités et tenter le périlleux voyage vers l’Europe. Cheikhouna, un jeune pêcheur vivant à Saint-Louis déclare que si l’opportunité se présente, il partira en Europe. Car pour lui, il n y a plus grand chose à espérer. Rien n’est fait pour aider les gens à sortir de la pauvreté.

Un parcours périlleux

Pour effectuer le voyage, les migrants s’organisent à l’avance. Ils réunissent une somme très importante pour payer les différents passages. Les itinéraires empruntés changent constamment. Durant les terribles traversées, des hommes, des femmes, des enfants perdent la vie. Selon le bureau régional de l’organisation internationale pour les migrations (OIM) pour l’Afrique de l’ouest et du centre, 427 décès et disparitions ont été enregistrées en 2022 sur les routes de la migration d’Afrique de l’ouest et du centre.

Confronté à une recrudescence meurtrière de l’immigration clandestine, le Sénégal a présenté le 13 juillet la stratégie nationale de lutte contre la migration régulière. Un plan qui vise à réduire drastiquement le phénomène à l’horizon 2033. Elle mise sur la prévention, des mesures d’aide, la protection des frontières. Un plan qui depuis son lancement, n’a pas empêché une augmentation fulgurante des candidats au départ pour l’Europe. Le 30 Septembre 2023, plus de 262 personnes en partance pour l’Europe ont été interpellés par la marine sénégalaise.

Œuvre de l’artiste sénégalais Yakhya Ba sur l’immigration clandestine à la biennale de Dakar de 2022. Crédit : Bigué Ndiaye Diouf

Les conséquences des migrations sur les pays

Pour les pays d’accueil, les migrations permettent de faire face à la pénurie de main d’œuvre, la participation aux retraites, le ralentissement du vieillissement de la population pour certains pays. Cela peut aussi avoir des effets négatifs comme la transformation des frontières (construction de murs, multiplication des systèmes de surveillance). En 2016, le président américain Donald Trump avait signé un décret visant la construction d’un mur afin de sécuriser la frontière sud des Etats-Unis.

Pour les pays de départ, les effets positifs sont l’éducation, les transferts monétaires. Selon Fatou, depuis que son fils est parti, leur situation s’est améliorée. « Chaque fin du mois, il nous envoie de l’argent. Cette somme nous est d’une très grande aide à moi et à ses sœurs. Cela permet de couvrir la majorité de nos dépenses. »

Pour les effets négatifs, il y a la diminution de la main d’œuvre qualifiée. Beaucoup de jeunes diplômés, ne trouvant pas du travail vont décider d’aller à l’étranger. Une fuite des cerveaux qui est une énorme perte pour le pays de départ et dont il pourrait bénéficier si des politiques efficaces étaient mises en place pour aider les jeunes.

Solutions et perspectives

Pour mettre fin à l’immigration clandestine, il faut mettre en place des alternatives durables pour les communautés impactées par le changement climatique. Mais aussi créer des emplois, réduire la cherté de la vie et sensibiliser sur ce phénomène.

Les volontaires du projet migrants comme messagers (MAM) ont lancé en octobre 2021 l’association sénégalaise contre la migration irrégulière (ASMI). Ils misent sur l’engagement communautaires, la sensibilisation.

L’association des partenaires migrants (ANPM) a été mise en place au Sénégal pour accompagner des candidats rapatriés dans des projets de réinsertion sociale.

Il est urgent de prendre réellement en charge cette problématique pour qu’il n’y ait plus de morts en mer. Cela passera aussi par donner des opportunités à une jeunesse qui ne demande qu’à trouver un travail descend pour vivre dignement.

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Commentaires

Nabiy fall
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Sujet très intéressant, merci et bonne continuation.